Fiche technique :
- Date de sortie : 26 mars 2025
- De : Eran Riklis
- Avec : Golshifteh Farahani,Zar Amir Ebrahimi,Mina Kavani
- Genre : Drame
- Durée : 1h47
INTERVIEW du réalisateur du film
LIRE LOLITA À TÉHÉRAN
Nous avons eu la chance d’interviewer Eran Riklis, le réalisateur du film. La critique sera donc courte car les messages délivrés par Eran Riklis sont bien plus importants. Nous pouvons juste dire que ce film est une réussite absolue et nous vous conseillons vivement d’aller le voir.
Synopsis du film :
Azar Nafisi, professeure à l’université de Téhéran, réunit secrètement sept de ses étudiantes pour lire des classiques de la littérature occidentale interdits par le régime. Alors que les fondamentalistes sont au pouvoir, ces femmes se retrouvent, retirent leur voile et discutent de leurs espoirs, de leurs amours et de leur place dans une société de plus en plus oppressive. Pour elles, lire Lolita à Téhéran, c’est célébrer le pouvoir libérateur de la littérature.
Fast critique du film :
Lire Lolita à Téhéran est peut-être le film le plus important de ces 10 dernières années. La réalisation forte et soignée de Eran Riklis ainsi que les formidables actrices de ce film portent un message féministe particulièrement nécessaire à notre temps. Ce film rappelle que la banalisation de l’horreur peut s’installer à tout moment et qu’en ce moment encore les femmes souffrent atrocement en Iran. Un film fort, courageux et nécessaire.

Question :
Qu’est-ce qui vous a convaincu de réaliser ce film, compte tenu de la sensibilité et de la difficulté du sujet ? De nombreux réalisateurs auraient pu choisir de ne pas aborder un sujet aussi risqué.
J’ai rencontré Azar Nafisi, l’autrice du roman autobiographique du même nom à Washington. Cet échange m’a convaincu de devoir raconter son histoire au cinéma. Et je suis revenu avec les droits de l’œuvre. J’étais déterminé à réaliser ce film mais il m’a fallu six ans pour tout mettre en place, notamment pour trouver le financement.
Ce qui m’a convaincu est le fait même si c’est une histoire iranienne, c’est finalement une histoire universelle. Je pense que ça peut toucher tout le monde, presque toutes les sociétés, surtout aujourd’hui où le monde devient fou. Il fallait raconter cette histoire. Au final je n’ai pas senti que je faisais quelque chose d’exceptionnellement courageux. Je me suis juste dit que raconter cette histoire était logique au regard de mes œuvres passées.
Question :
Il y a des actrices formidables dans ce film. Comment les avez-vous dirigées pour qu’elles soient aussi impactantes, même celles qui ont peu de présence à l’écran ?
Eh bien, je vais vous dire deux choses. Premièrement, il m’a fallu deux ans pour faire le casting parce que j’ai décidé dès le début que je ne prendrais que des Iraniennes, c’est leur histoire. J’ai eu de la chance parce que vraiment, si vous allez à Berlin, Paris, Londres, New York, Los Angeles, vous avez beaucoup, beaucoup d’actrices iraniennes, d’exilées iraniennes, mais des Iraniennes et évidemment des actrices de grande qualité. Je savais dès le début que je voulais Golshifteh Farahani pour le rôle principal parce que je la connaissais, mais ce n’était pas facile parce qu’elle n’avait jamais tourné de film en farsi depuis qu’elle avait quitté l’Iran. C’était donc un vrai défi pour elle, un défi émotionnel. Évidemment, elle a réussi avec brio.
Pour les autres, j’ai passé beaucoup de temps à faire et refaire des auditions. Et finalement, j’ai trouvé vraiment toutes ces actrices formidables. Je suis très pointilleux sur le jeu d’acteur. Pour moi, même si un acteur frappe à la porte, entre, donne le café et s’en va, il doit être bon parce que si quelque chose est faux dans les performances, ça ne marche pas et ça dérègle tout le film. Et puis en termes de travail, nous avons travaillé très étroitement. Nous sommes allés à Rome où nous avons tourné et elles sont venues pour deux semaines de travail intense avant le tournage. Et aussi pendant le tournage, j’étais là. J’étais là avec elles.
Un point aussi qui a rendu leur interprétation crédible est le fait qu’elles étaient aussi très proches les unes des autres. Cela a créé un groupe de personnes qui voulaient jouer ces rôles et qui voulaient être ensemble.

Question :
Pourquoi le choix de Rome pour le tournage ?
Parce que j’essayais de trouver de l’argent en Amérique, en France, en Allemagne, où habituellement mes films sont financés et tournés, mais personne ne voulait faire ce film. Et j’étais à Rome en 2021, pour un petit festival, et il y avait une petite conférence sur les coproductions, et je me suis mis à parler de ce projet de film. Alors deux producteurs italiens sont venus me voir et m’ont dit : « Wow, nous adorons ce livre. Nous adorons l’histoire. Nous adorons vos films. Pouvons-nous être impliqués ? » Et j’ai dit, d’accord.
J’étais dubitatif sur le lieu au départ mais au final Rome est une grande ville et comme toutes les villes du monde, vous pouvez trouver des endroits qui correspondent à Téhéran. J’ai fait beaucoup de recherches sur Téhéran, donc je savais ce que je cherchais. Et aussi, d’une manière intéressante, l’architecture à Rome est similaire à beaucoup de choses. Par exemple, l’Université de Rome ressemble vraiment à l’Université de Téhéran.
Et bien sûr, c’est un film. Vous changez des choses, vous ajoutez des choses. J’ai réussi à trouver des images de Téhéran des années 80 et à adapter le lieu de tournage. Au final c’était une grande expérience.
Question :
Dans votre film, nous sommes témoins de la normalisation de l’horreur dans la vie quotidienne. Comment avez-vous choisi d’introduire ce sens du temps et ce changement progressif dans votre histoire ?
Le pays change, la ville change, les femmes changent. Tous ces éléments étaient difficiles à retranscrire au début. Mais au final, j’ai suivi la logique des chapitres du livre et surtout j’ai calqué le découpage du film sur les livres étudiés par le groupe de femmes. Vous avez Lolita, vous avez Gatsby le Magnifique, vous avez les quatre livres. Au final, je raconte une histoire qui reflète ce qu’elles lisent. C’est comme ça que ça a commencé pour moi. Et puis la chronologie est devenue moins importante. Vous savez, il y a beaucoup de débats. J’ai beaucoup de conversations avec les gens. Parfois, ils disent : Oh, c’est difficile de passer de 1980 à 1995 et puis de revenir en arrière. Mais pour moi, c’est un voyage dans la vie de ces personnes. Donc, le temps, à la fin, le seul temps qui compte, c’est le temps de la conclusion et du final.
Question :
Quel est au final le message du film ? Son but ?
J’essaie de faire des films démocratiques. Donc, je peins le tableau, mais ensuite je fais confiance au public pour regarder le film et prendre ses propres décisions, je leur tente juste de leur donner les clefs de compréhension et je fais confiance au public. Je pense que si quelqu’un vient et ne se soucie pas des femmes iraniennes avant le visionnage, peut-être que le film lui fera changer d’avis.
Mais au final pour moi, bien sûr, c’est un film politique et social. Et oui, ce film est avant tout à propos des femmes, de la lutte féministe, de la lutte contre l’oppression, de vraiment beaucoup d’éléments, mais je les mets juste là et laisse le spectateur en tirer ses propres enseignements.
Ma priorité est de permettre au public de faire sa propre opinion. Pour moi, je pense qu’à la fin, j’essayais avant tout de raconter une bonne histoire. Je pense que si vous racontez une bonne histoire, alors les messages viennent de toute façon.
Question :
Avez-vous, à un moment donné, eu l’idée de raconter l’histoire au présent ?
Oui, je pensais que cela pourrait être intéressant, mais cela pourrait aussi être une erreur parce que si vous le faites aujourd’hui, les éléments récents peuvent après fausser votre message. Quand vous revenez en arrière, d’une certaine manière, c’est plus facile pour vous de dire que si cela s’est passé alors, cela se reflète facilement aujourd’hui.
Donc, je suis resté avec cette époque parce que je pense que c’est une période cruciale. Vous avez une révolution dans un pays qui, jusqu’en 1979, était aussi un pays compliqué, avec le Shah, la corruption… Mais au final c’était comme un pays occidental d’une certaine manière et raconter cette transition est vraiment pertinente.
Mais d’un autre côté, je pense que grâce au casting, qui est composé de jeunes femmes iraniennes modernes, cela rend la transition plus facile, vous regardez quelque chose qui se passe dans les années 80, et vous ne le ressentez pas vraiment parce que le film n’est pas comme un film américain où vous devez voir les clichés de cette époque américaine, non le film à un côté intemporel qui pourrait presque vous faire croire que c’est le Paris d’aujourd’hui.

Question :
Pensez-vous que la société iranienne a beaucoup évolué depuis les années 80 jusqu’à aujourd’hui ou les bases sont-elles restées les mêmes ? C’est une question délicate, nous en convenons.
C’est une question délicate parce que je pense qu’elle a certainement évolué parce qu’il y a une nouvelle génération. Une partie de cette société a en effet évolué, nous le savons parce qu’il y a des exilés, qui sont actifs en dehors de l’Iran, et certains d’entre eux sont actifs en Iran aussi. Nous connaissons des cinéastes, nous connaissons beaucoup d’autres personnes qui essaient de résister à ce régime. Mais c’est intéressant, je me souviens il y a deux ans, j’étais ici à Paris, quand la révolte a pris une ampleur nouvelle et nous avons pu assister à des conférences de femmes iraniennes activistes qui essaient de changer la réalité en Iran aujourd’hui. Mais quand j’étais plus jeune, je faisais aussi cela. Ma mère le faisait aussi. Donc, je pense qu’il y a une continuité dans la lutte.
Et aussi, je peux imaginer que beaucoup de personnes qui combattent le régime, si elles étaient en vie pendant la période du Shah, elles seraient probablement contre le Shah.
Au final le peuple iranien souffre d’une image de pays totalement extrême et dont on oublie la grande histoire. Car en réalité, la Perse a une histoire ancienne incroyable. La culture est incroyable dans ce pays, mais surtout les gens sont incroyables. Nous parlons de 80 millions de personnes. Donc, je pense que comme beaucoup d’endroits, il y a ce que vous voyez habituellement à travers les médias et ce que vous apprenez vraiment. Je pense que la raison pour laquelle je fais des films, c’est vraiment d’essayer d’aller au-delà des gros titres de CNN et de délivrer une image des gens qui peuplent cette nation. Les gouvernements passent, le peuple reste.
Question :
Mais avez-vous subi des pressions pendant le tournage ou avant le tournage, ou aviez-vous peur que cela puisse arriver ?
La seule chose dont j’avais un peu peur, c’était pour mes actrices. Parce que Golshifteh Farahani (l’actrice principale) est une figure publique, et parfois elle effectivement a reçu des menaces et elle a été incroyablement courageuse.
Sur la pression concernant le financement, le fait qu’il soit italien et israélien a permis de réaliser le film dans un contexte sécurisé. Au final, s’ils ont investi, c’est parce qu’ils croyaient en l’histoire. Non, sur moi il n’y avait pas de pression. Je pense que la seule pression que j’avais vraiment était d’être précis. Parce que, bien sûr, nous tournons toujours à Rome et je ne suis pas iranien, donc je dois être très prudent sur les détails. Je suis devenu obsessionnel que ce sujet de crédibilité. La véracité historique des détails paye toujours…
Et je vais vous raconter une anecdote amusante sur mon obsession du détail. Dans les derniers jours du tournage, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait une erreur. C’est une histoire amusante parce qu’à l’université, il y a un panneau sur lequel il est écrit : Une faculté de littérature et d’humanités. C’était écrit en farsi, en farsi et en anglais. Et nous l’avons fait. C’était très précis et tout. Et sur le plateau, pendant que je tournais, un figurant iranien est venu me voir et m’a dit : Vous savez quoi ? Il y a une petite erreur en farsi. Une lettre n’est pas comme elle devrait être. J’ai dit, oh mon Dieu. Qu’est-ce que je vais faire ? Puis, honnêtement, j’ai dit, d’accord, nous allons tourner. Nous allons réparer ça plus tard. J’ai oublié. Puis quand j’étais en postproduction, heureusement, d’une manière amusante, la personne en charge des effets visuels à Rome – qui est iranienne a dit : Oh, il y a une erreur. Elle l’a réparée. Ce sens du détail de l’ensemble de l’équipe est pour moi un point important et au final la plus grande pression que je pouvais me mettre pour respecter le pays et son histoire.
Question :
Donc au final, au niveau du financement du film, ce fut plutôt simple et sécurisé ?
Je pense que oui. Mais je pense qu’à la fin, c’est comme tous les films, c’est un pitch. Je suis allé voir mon investisseur israélien qui ne lit pas directement le scénario mais qui préfère que je lui raconte l’histoire directement. Et là il dit oui ou non tout simplement. Il dit oui ou non. Donc, je suis allé le voir et je lui ai dit : C’est une histoire sur sept femmes qui lisent des livres subversifs à Téhéran, des livres qui ne sont pas autorisés par le régime des mollahs. Et à ma grande surprise, il a adoré. Et il l’a vraiment adoré. Et il a dit : Wow, ça a l’air d’une histoire géniale. Et je pense que c’est comme ça que j’ai réussi à le faire, en convainquant les gens que c’est une bonne histoire. Je ne dis même pas une histoire importante. C’est une bonne histoire. Et c’est d’actualité parce que je pense vraiment, comme nous l’avons dit, c’est dans les années 80, mais c’est aussi maintenant. Cela sera probablement aussi pertinent demain. Je dois vraiment dire que je n’ai rencontré aucun problème politique, sauf si vous ouvrez Instagram ou X et que vous regardez les commentaires. Nous avons une bande-annonce qui tourne sur Instagram. J’étais étonné parce que maintenant, elle a environ 4,5 millions de vues. Wow. Incroyable. Incroyable. Grâce à Golshifteh Farahani, parce qu’elle a 17 millions de followers. J’ai regardé les commentaires et il y en a beaucoup en farsi, donc je les ai traduits. Ensuite, vous voyez des mélanges. Je dirais que 60 % disent : Golshifteh Farahani, tu es la reine. Tu es la plus belle femme et talentueuse femme au monde. Et malheureusement 35 % disent : Tu es une garce. Tu es une femme horrible. Tu es une traîtresse. Et 5 % sont contre moi. C’est comme, oh, c’est moi, c’est le réalisateur. Qu’est-ce qu’il fait ? Pourquoi raconte-t-il l’histoire de l’Iran ? Maintenant, vous regardez ça et vous réalisez que même si vous ne pouvez jamais savoir, probablement la moitié de ces réactions viennent de Téhéran et probablement du gouvernement. Mais je pense qu’il y aura probablement beaucoup de controverses au sein de la communauté iranienne, certainement en Iran, mais le film ne sera jamais montré là-bas malheureusement, car au final le débat aurait du bon.
Question :
Quels sont vos prochains projets ?
Je développe une petite histoire. Ça s’appelle Dog. C’est basé sur un livre d’un écrivain israélien, pas célèbre, qui a souffert de stress post-traumatique. Il a servi dans une unité spéciale de l’armée, et il a souffert de stress post-traumatique à cause de Gaza, mais il y a 15 ans, pas maintenant. Et il a écrit un livre sur quelqu’un qui revient de Gaza. Mais il n’arrive pas à vraiment « revenir » et il finit dans la rue comme un sans-abri, et il va vraiment, vraiment mal, et sa vie est presque finie, et puis il rencontre un chien. Mais ce chien lui sauve la vie. C’est lié aux chiens à Gaza. Donc, c’est une petite histoire. Je l’adore. Je pense que je vais le faire. On verra.
Un grand MERCI à Eran Riklis de nous avoir accordé cet interview.
Le film sort au cinéma le 26 mars 2025
Propos recueillis par Gregory Caumes
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