Question :
Pensez-vous que la société iranienne a beaucoup évolué depuis les années 80 jusqu’à aujourd’hui ou les bases sont-elles restées les mêmes ? C’est une question délicate, nous en convenons.
C’est une question délicate parce que je pense qu’elle a certainement évolué parce qu’il y a une nouvelle génération. Une partie de cette société a en effet évolué, nous le savons parce qu’il y a des exilés, qui sont actifs en dehors de l’Iran, et certains d’entre eux sont actifs en Iran aussi. Nous connaissons des cinéastes, nous connaissons beaucoup d’autres personnes qui essaient de résister à ce régime. Mais c’est intéressant, je me souviens il y a deux ans, j’étais ici à Paris, quand la révolte a pris une ampleur nouvelle et nous avons pu assister à des conférences de femmes iraniennes activistes qui essaient de changer la réalité en Iran aujourd’hui. Mais quand j’étais plus jeune, je faisais aussi cela. Ma mère le faisait aussi. Donc, je pense qu’il y a une continuité dans la lutte.
Et aussi, je peux imaginer que beaucoup de personnes qui combattent le régime, si elles étaient en vie pendant la période du Shah, elles seraient probablement contre le Shah.
Au final le peuple iranien souffre d’une image de pays totalement extrême et dont on oublie la grande histoire. Car en réalité, la Perse a une histoire ancienne incroyable. La culture est incroyable dans ce pays, mais surtout les gens sont incroyables. Nous parlons de 80 millions de personnes. Donc, je pense que comme beaucoup d’endroits, il y a ce que vous voyez habituellement à travers les médias et ce que vous apprenez vraiment. Je pense que la raison pour laquelle je fais des films, c’est vraiment d’essayer d’aller au-delà des gros titres de CNN et de délivrer une image des gens qui peuplent cette nation. Les gouvernements passent, le peuple reste.
Question :
Mais avez-vous subi des pressions pendant le tournage ou avant le tournage, ou aviez-vous peur que cela puisse arriver ?
La seule chose dont j’avais un peu peur, c’était pour mes actrices. Parce que Golshifteh Farahani (l’actrice principale) est une figure publique, et parfois elle effectivement a reçu des menaces et elle a été incroyablement courageuse.
Sur la pression concernant le financement, le fait qu’il soit italien et israélien a permis de réaliser le film dans un contexte sécurisé. Au final, s’ils ont investi, c’est parce qu’ils croyaient en l’histoire. Non, sur moi il n’y avait pas de pression. Je pense que la seule pression que j’avais vraiment était d’être précis. Parce que, bien sûr, nous tournons toujours à Rome et je ne suis pas iranien, donc je dois être très prudent sur les détails. Je suis devenu obsessionnel que ce sujet de crédibilité. La véracité historique des détails paye toujours…
Et je vais vous raconter une anecdote amusante sur mon obsession du détail. Dans les derniers jours du tournage, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait une erreur. C’est une histoire amusante parce qu’à l’université, il y a un panneau sur lequel il est écrit : Une faculté de littérature et d’humanités. C’était écrit en farsi, en farsi et en anglais. Et nous l’avons fait. C’était très précis et tout. Et sur le plateau, pendant que je tournais, un figurant iranien est venu me voir et m’a dit : Vous savez quoi ? Il y a une petite erreur en farsi. Une lettre n’est pas comme elle devrait être. J’ai dit, oh mon Dieu. Qu’est-ce que je vais faire ? Puis, honnêtement, j’ai dit, d’accord, nous allons tourner. Nous allons réparer ça plus tard. J’ai oublié. Puis quand j’étais en postproduction, heureusement, d’une manière amusante, la personne en charge des effets visuels à Rome – qui est iranienne a dit : Oh, il y a une erreur. Elle l’a réparée. Ce sens du détail de l’ensemble de l’équipe est pour moi un point important et au final la plus grande pression que je pouvais me mettre pour respecter le pays et son histoire.
Question :
Donc au final, au niveau du financement du film, ce fut plutôt simple et sécurisé ?
Je pense que oui. Mais je pense qu’à la fin, c’est comme tous les films, c’est un pitch. Je suis allé voir mon investisseur israélien qui ne lit pas directement le scénario mais qui préfère que je lui raconte l’histoire directement. Et là il dit oui ou non tout simplement. Il dit oui ou non. Donc, je suis allé le voir et je lui ai dit : C’est une histoire sur sept femmes qui lisent des livres subversifs à Téhéran, des livres qui ne sont pas autorisés par le régime des mollahs. Et à ma grande surprise, il a adoré. Et il l’a vraiment adoré. Et il a dit : Wow, ça a l’air d’une histoire géniale. Et je pense que c’est comme ça que j’ai réussi à le faire, en convainquant les gens que c’est une bonne histoire. Je ne dis même pas une histoire importante. C’est une bonne histoire. Et c’est d’actualité parce que je pense vraiment, comme nous l’avons dit, c’est dans les années 80, mais c’est aussi maintenant. Cela sera probablement aussi pertinent demain. Je dois vraiment dire que je n’ai rencontré aucun problème politique, sauf si vous ouvrez Instagram ou X et que vous regardez les commentaires. Nous avons une bande-annonce qui tourne sur Instagram. J’étais étonné parce que maintenant, elle a environ 4,5 millions de vues. Wow. Incroyable. Incroyable. Grâce à Golshifteh Farahani, parce qu’elle a 17 millions de followers. J’ai regardé les commentaires et il y en a beaucoup en farsi, donc je les ai traduits. Ensuite, vous voyez des mélanges. Je dirais que 60 % disent : Golshifteh Farahani, tu es la reine. Tu es la plus belle femme et talentueuse femme au monde. Et malheureusement 35 % disent : Tu es une garce. Tu es une femme horrible. Tu es une traîtresse. Et 5 % sont contre moi. C’est comme, oh, c’est moi, c’est le réalisateur. Qu’est-ce qu’il fait ? Pourquoi raconte-t-il l’histoire de l’Iran ? Maintenant, vous regardez ça et vous réalisez que même si vous ne pouvez jamais savoir, probablement la moitié de ces réactions viennent de Téhéran et probablement du gouvernement. Mais je pense qu’il y aura probablement beaucoup de controverses au sein de la communauté iranienne, certainement en Iran, mais le film ne sera jamais montré là-bas malheureusement, car au final le débat aurait du bon.
Question :
Quels sont vos prochains projets ?
Je développe une petite histoire. Ça s’appelle Dog. C’est basé sur un livre d’un écrivain israélien, pas célèbre, qui a souffert de stress post-traumatique. Il a servi dans une unité spéciale de l’armée, et il a souffert de stress post-traumatique à cause de Gaza, mais il y a 15 ans, pas maintenant. Et il a écrit un livre sur quelqu’un qui revient de Gaza. Mais il n’arrive pas à vraiment « revenir » et il finit dans la rue comme un sans-abri, et il va vraiment, vraiment mal, et sa vie est presque finie, et puis il rencontre un chien. Mais ce chien lui sauve la vie. C’est lié aux chiens à Gaza. Donc, c’est une petite histoire. Je l’adore. Je pense que je vais le faire. On verra.
Un grand MERCI à Eran Riklis de nous avoir accordé cet interview.
Le film sort au cinéma le 26 mars 2025
Propos recueillis par Gregory Caumes
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