Fiche technique :

Notre avis sur A MAN

Saluée par la critique, avec notamment plusieurs récompenses attribuées lors des Japan Academy Prize en 2023, A Man (en V.O. Aru Otoko), réalisé par Kei Ishikawa, est un long-métrage brillant, intelligent et pleinement maîtrisé où se dévoile une autre facette beaucoup plus sombre du pays du soleil levant, alternant successivement entre thriller et drame sociétal.

hatsu est l’expression courante qu’utilisent les japonais pour désigner ceux qui disparaissent, ceux qui « s’évaporent ». Un véritable phénomène de société qui pousse environ 100 000 Japonais par an à tout abandonner derrière eux sans laisser de trace. Kei Ishikawa qui adapte le roman de Keiichirō Hirano reprend forcément les bases et le thème dans A Man. Lorsque Rie apprend que son mari récemment décédé n’était pas celui qu’il prétendait être, elle engage un avocat afin de découvrir la véritable identité de ce dernier. Si l’histoire présage une énigme vertigineuse et tumultueuse, le film joue souvent sur l’aspect réaliste et classique de l’affaire : celle d’une identité volée, oui, mais pourquoi ? Au travers de cette question que se pose chaque personnage, le spectateur est embarqué dans cette troublante enquête et ouvre un peu plus le regard sur une société nippone où le déshonneur est finalement le pire des crimes qui peut-être commis.

Cela commence par la magnifique mise en scène d’une rencontre : celle de Rie (Sakura Andô) et Daisuke (Masataka Kubota), deux êtres frêles et fragiles que la vie n’a pas épargné. D’un amour timide, mais naissant, ils se livrent l’un à l’autre, sans artifice, naturellement. De cet amour nait une vie de famille, une vie paisible accompagnée de ces bonheurs simples et quotidiens. Puis, Daisuke meurt brutalement, laissant derrière lui Rie et leur deux enfants dans une grande tristesse. Mais la visite du frère de Daisuke vient perturber quelque peu les certitudes de Rie quand ce dernier lui annonce que la personne sur la photo de l’autel n’est pas Daisuke Taniguchi. Perdue et confuse, Rie engage alors un avocat, Akira Kido (Satoshi Tsumabuki) afin de connaître la véritable identité de son défunt mari. Au cours de l’enquête et de ses investigations, Akira Kido est lui-même confronté à sa propre identité, au racisme de ses origines coréennes et aux interrogations auxquelles la société nous rappelle constamment : qui doit-on être et quel honneur devons-nous sauvé ?

Tout au long du film, le réalisateur s’empare de son sujet et ouvre le regard sur un phénomène beaucoup plus important et vaste qu’on ne pourrait le croire, et plus particulièrement au Japon où la culture dominante est celle d’honorer son travail, sa famille et son pays. Mais que se passe-t-il quand cette obligation d’honneur n’est pas remplie ? C’est là où le personnage d’Akira Kido, au travers de son enquête, nous questionne, nous confrontant à nos injonctions dont nous sommes aussi esclaves. Quelles soient personnelles, professionnelles ou sociétales, chacun peut ressentir ce désir, cette idée obsessionnelle de tout quitter, d’échapper à son propre destin ou à une certaine fatalité. En ce sens, l’œuvre d’Ishikawa est un brillant miroir de nos facettes cachées, brisées, personnifiées.

Oeuvre qui porte sur la question de l’identité, A Man est une réussite totale, saisissante, sensible avec une remarquable mise en scène, traitant sans fard d’un sujet encore bien présent et tabous dans l’archipel nippon. Sa signature visuelle et son esthétisme élégant, traversés par des magnifiques lumières aux plans détaillés, ses interprétations sans failles des acteurs qui sonnent juste du début à la fin achèvent de parfaire ce petit bijou cinématographique, pouvant directement se hisser dans le rang des réalisateurs japonais à suivre de très près. Kei Ishikawa rend, d’une certaine manière, hommage à tous ces évaporés, comme pour leur laisser la place d’exister dans une société qui les rejette mais qui ne les a pas complètement oubliés. Au fond, et comme le suggère le plan final, nous sommes tous coupables et capables de changer d’identité quand notre survie en dépend. Mais n’est-ce pas faire honneur à soi et aux autres que de faire tomber une bonne fois pour toute notre masque d’imposteur ?

Par Rémi Vallier

Copyright 2022 A Man Film Partners / Hanabi

Crédits photos : Art House films

BANDE-ANNONCE :